Il y a les conflits et la gestion des conflits [qui occasionnent trois stratégies possibles : fuir, attaquer ou subir / se paralyser] et il y a la polarisation.
Anne Van Coppenolle, coach certifiée BAO Elan Vital Explorer-Discoverer et Voyager, les Chemins de l’Ame nous fait une synthèse de la conférence de Bart Brandsma [1] : Polarisation et dynamique de pensée « Eux / Nous », le 19 septembre 2019 et nous partage ses cogitations pour sortir du dualisme, entrer dans la nuance et dépasser nos réflexes ataviques.
Merci Anne pour ce partage éclairant.
Différence entre conflit et polarisation :
- Un conflit se caractérise par 4 facteurs :
- un enjeu
- un moment particulier (le déclenchement du conflit)
- un lieu des protagonistes
Et dans de nombreux cas, un médiateur intervient pour gérer le conflit.
Par exemple : 2 enfants, au moment de la récréation, qui se disputent le droit d’aller sur la même balançoire, dans la cour d’école, parce que « je l’avais vue en 1er« . Les 2 protagonistes peuvent choisir « l’attaque » pour obtenir le dessus sur l’autre … jusqu’au moment où un surveillant vient proposer un arrangement et mettre fin à la dispute.
La situation peut aussi s’appréhender, au-delà de la dispute, du point de vue de la polarisation. Dans ce cas, le conflit prend une autre tournure et concerne toute la cour de récréation, et pas seulement les 2 enfants concernés, car des clans peuvent se former. En effet, l’une sera peut-être soutenue par les filles et l’autre par les garçons, l’un sera peut-être soutenu par ceux de sa classe et l’autre par ceux de la sienne, l’un sera peut-être soutenu par ceux qui habitent son quartier et l’autre ceux du sien, … Cela devient EUX contre NOUS.
https://insidepolarisation.nl/wp-content/uploads/2019/02/Animatie1-ENG.mp4
Définition et champ de la polarisation :
La polarisation est une construction mentale, un modèle de pensées, d’idées qui s’expriment en termes d’identité et en fonction d’intérêts différents. Les mots utilisés donnent des indices de la tension entre 2 pôles : POUR / CONTRE ou EUX / NOUS.
Il y a plein de sujets de polarisation : hommes contre femmes, religieux contre incroyants, étrangers contre autochtones, riches contre pauvres, climatoengagés contre climatosceptiques, pro père fouettard contre père fouettard, famille contre belle-famille, … La liste est interminable.
Toutes les échelles systémiques sont concernées : le pays, la communauté, le quartier, la famille, l’entreprise, … La dynamique « Eux / Nous » est universelle !
Et la polarisation n’est ni bonne ni mauvaise. C’est naturel, basé sur des systèmes de valeurs, des croyances, des stéréotypes [2] forgés au fil du temps. C’est le propre des humains et de la construction de leur identité.
La polarisation peut déboucher sur des conflits voire des guerres. Mais ça c’est une autre histoire !
Les 3 lois de la polarisation :
- En tant que modèle de pensées EUX / NOUS, il est important d’analyser la polarisation en jeu pour pister les tensions.
- La polarisation se nourrit de carburant, de croyances. Par exemple : les femmes sont multitasking et les hommes sont monotasking, les femmes sont ultra sensibles et les hommes ne savent pas exprimer leurs émotions, … Quand on connait le carburant, alors on peut comprendre les constructions mentales. S’il n’y a plus de carburant, la polarisation disparait.
- La polarisation est une dynamique émotionnelle qui fait que l’on aborde les choses autrement qu’avec un processus rationnel [3]. Les mots sont donc plus forts que les faits. Le comment est plus fort que le quoi.
Les rôles dans un processus de polarisation :
1. Les incitateurs
De part et d’autre, ils fournissent le carburant pour nourrir la polarisation. Ils fonctionnent au monologue, parlent SUR et non AVEC. Mais de l’intérieur, ils vont se définir comme idéalistes. Donald Trump en est un exemple.
Mais être incitateur n’est pas nécessairement mauvais car s’opposer n’est pas toujours négatif, notamment si c’est policé et que cela crée du développement. Nelson Mandela en est un exemple.
2. Les adhérents
Ils choisissent un clan, se disent moins extrêmes que les incitateurs. Selon la manière dont ils s’expriment, ils passent pour plus raisonnables.
3. Les silencieux, le centre
Il y a 3 types de centres :
- les indifférents
- les engagés, intéressés, observateurs de ce qui se passent
- les « neutres » professionnellement (tels qu’un bourgmestre, un enseignant, …)
En général, on ne les entend pas.
Dans un contexte de polarisation, on a tendance à agir sur ces lignes.
4. Les bâtisseurs de pont
Dans la mesure où il considère que la polarisation n’est pas en faveur de la cohésion sociale, le bâtisseur de pont veut générer du dialogue et de la compréhension entre les 2 parties en avançant des contre arguments.
A titre d’exemple, dans une polarisation pour ou contre les réfugiés, le bâtisseur de ponts va expliquer, aux uns, la réalité des réfugiés et, aux adhérents de l’autre camp qui saluent la diversité, le point de vue des autochtones qui ont vu leur quartier changer ces 30 dernières années, …
Ce faisant, les bâtisseurs de ponts fournissent également du carburant et, souvent, la polarisation ne fait que s’amplifier. Par exemple, les médias sont des bâtisseurs de ponts qui se font l’écho du discours des incitateurs et renforcent le processus.
Les bâtisseurs de ponts cherchent le dialogue. Ils sont généralement tolérés mais en réalité, les incitateurs ne leur font pas toujours confiance. Et ils peuvent même se retrouver piégés par les incitateurs qui reportent la responsabilité sur eux. Car est-il possible d’être complètement neutre ? Tout ce que les bâtisseurs de ponts vont dire sera mis à charge et non à décharge. Les mots sont donc extrêmement importants.
Dans certains cas, la polarisation peut prendre des formes extrêmes au point qu’il ne peut plus y avoir de centre ou le centre se fait attaquer par les 2 camps. Alors qu’avant, lorsque la situation n’était pas encore complètement exacerbée, il y avait des silencieux, neutres, ceux-ci deviennent progressivement boucs émissaires des 2 pôles.
Par exemples, les Hutu et Tutsi au Rwanda dans les ’90.
Il serait utile, dans ce cas, de disposer d’outils pour dépolariser, pour stopper la combustion du carburant. En renforçant le dialogue ? NON, car les incitateurs ne sont que dans le monologue ! Inciter au dialogue part d’une bonne intention mais est inutile !
5. Le réseauteur (networker)
Alors que, pour les incitateurs, le groupe cible, c’est les silencieux, c’est là qu’il faut agir. Les incitateurs ne supportent pas le centre, ils veulent rallier des adhérents. Pour lutter contre la polarisation et ne pas dévier vers une situation extrême, il faut donc changer de groupes cibles et chercher le dialogue avec le centre.
A titre d’exemple, dans un divorce, les 2 parents peuvent essayer de rallier à leur cause leur enfant, a priori neutre dans leur séparation, au risque d’en faire un bouc émissaire si cela s’aggrave.
Tous les rôles peuvent s’avérer utiles, en particulier entre les bâtisseurs de ponts et les réseauteurs.
Parfois, on peut être professionnellement dans un rôle et personnellement dans un autre. Il est important de faire la distinction. Et en plus, on peut se mouvoir dans le système en fonction des situations !
Les 3 étapes pour sortir de la polarisation :
- La stratégie du recrutement : Qui veut-on embarquer ? Qui va faire partie du système, pour faire quoi ?
- La stratégie du questionnement : A la différence du bâtisseur de ponts qui essaie de concilier les POUR et les CONTRE, cette stratégie vise à se positionner parmi les silencieux à leur poser des questions.
- La stratégie de l’incursion :
Elle consiste à parler un autre langage qui n’est ni celui de l’incitateur A, ni celui de l’incitateur B. Tandis qu’être bâtisseur de ponts demande beaucoup d’énergie et de temps, en trouvant des alliés au centre et en posant les bonnes questions (quel avenir pour telle thématique ?), le réseauteur obtient la coopération avec les silencieux qui vont dégonfler la polarisation.
A titre d’exemple : Bart Brandsma évoque une polarisation dans une classe d’élèves entre celles qui étaient pour le port de la minijupe et ceux qui s’y opposaient. L’enseignant, après avoir adopté la posture du bâtisseur de ponts qui écoute les 2 incitateurs et leurs adhérents, a proposé un cours sur la mode à travers l’histoire et s’est tourné vers la masse silencieuse pour questionner, non pas en termes de pour ou contre, mais le regard porté sur la mode en général.
Comment adopter le rôle de réseauteur ? En se montrant vulnérable et honnête vis-à-vis du centre pour que le groupe se sente interpelé et non instrumentalisé.
Et quels liens avec le coaching ?
J’en vois plusieurs :
- La personne coachée peut se retrouver imbriquée dans des relations conflictuelles ou dans des processus de polarisation, à jouer l’un ou l’autre rôle et en étant, de facto, partie prenante alors qu’elle ne le cherche pas. A l’instar du triangle dramatique, en prendre conscience est sans doute une 1ère étape pour en sortir ou adopter la posture adéquate.
- La personne coachée peut se retrouver tiraillée avec une part d’elle qui est « incitateur A » et une autre « incitateur B », à adhérer tantôt à un point de vue, tantôt à l’autre, sans parvenir à se poser les bonnes questions qui vont la sortir de la polarisation. Faire l‘exercice des positions perceptuelles peut être une grande aide.
- Le coach, sauveur ? Bâtisseur de pont, neutre, rationnel, aidant le coaché à trouver des solutions et poser des limites ? Ou en posture de réseauteur, indépendant, empathique, posant des questions et invitant à voir les choses sous un autre angle « out of the box » ? Les niveaux logiques au niveau de l’identité peuvent aider à éclaircir les rôles.
Plus largement, il y a un débat (une polarisation ?) qui peut également s’ouvrir entre les « pour le développement personnel » et les « contre qui pensent qu’il s’agit d’une vaste imposture » à l’instar de Julia de Funès ( https://www.marianne.net/debattons/entretiens/le-developpement-personnel-ou-la-litterature-soumise-l-air-du-temps ). Dans son essai, elle fait un lien entre le développement personnel et la montée de l’individualisme et du narcissisme apparus depuis les années 1960-1970. Pour elle, derrière l’adhésion au développement personnel se cache une nouvelle « servitude volontaire ». Ce faisant, par cette prise de position, elle se positionne en adhérent, voire en incitateur, des « contre », des sceptiques face à cet « opium du peuple » et met du carburant pour attiser une position.
En face, il y a les personnes convaincues que le développement personnel n’est pas un effet de mode, ni une démarche égotiste. Selon eux, apprendre à profiter de l’instant présent, devenir la meilleure version de soi-même, découvrir sa nature profonde, cultiver davantage l’être que l’avoir sont des façons de contribuer à une autre société et d’être encore mieux dans l’action. Comme l’explique Frédéric Lopez (colibri) (à 6’20 » dans la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=KceKMvOwRCk), comment peut-on aider les autres si on ne va pas bien soi-même ?
Le bâtisseur de ponts organiserait peut-être un débat entre les partisans des 2 « camps ». Le réseauteur s’intéresserait à la majorité des personnes qui n’ont pas nécessairement d’avis sur la question, qui ne sont ni pour ni contre et les interrogerait sur leur manière d’appréhender la vie, la mort, la société, l’avenir du monde. Il leur poserait des questions sur leur rapport à la terre, aux autres, sur leurs valeurs, … afin de déplacer le focus et dégonfler la polarisation … qui n’a peut-être pas de raison d’être ?! Enfin, c’est juste mon avis !
Anne Van Coppenolle / Cham-Anne
https://www.cham-anne.com/presentation
[1] Philosophe puis journaliste, il a formalisé le concept de polarisation.
[2] « Pour mieux connaître le monde et les choses, on passe par une activité de catégorisation et de comparaison. Dans le contexte humain, la catégorisation tend à légitimer les catégories en leur conférant plus qu’une existence, une essence. On catégorise les gens et les objets en fonction de l’idée qu’ils possèderaient la même nature. C’est le processus de catégorisation qui préside aux stéréotypes. Cependant, la catégorisation est un processus majeur de la construction de l’Identité sociale ». « Les stéréotypes sont des croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles d’un groupe de personnes » Jacques-Philippe LEYENS
[3] Bart Brandsma évoque un meurtre d’une dame aux Pays-Bas il y a une 10aine d’années. A l’époque, il y avait un faisceau de présomptions pour désigner un coupable parmi les demandeurs d’asile provenant du centre proche. Or, il y a 2 ans, des analyses ADN ont montré que le meurtrier était un agriculteur du cru. Rien n’y fait. Dans le village, la population reste convaincue de l’implication des demandeurs d’asile, car le carburant avait fait son œuvre laissant la polarisation et l’émotionnel primer sur le rationnel.
Catégories :Actualité Ecole Elan Vital
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